Pour l’interview n°17, c’est Morgane, 42 ans, de Marseille qui nous livre son histoire.
– Raconte nous comment tu as découvert la maladie.
Il y a à peine plus d’un an (à presque 42 ans), fin juin 2016, j’ai ressenti un très vive douleur dans le thorax, à droite. Je ne suis pas d’un naturel douillet, et comme beaucoup de femmes, j’ai l’habitude de la douleur et de souffrir en silence. Je mettais cela sur le compte du stress, car je vivais une période difficile dans mon couple. Les jours passaient et la douleur était toujours là, moins forte, plus diffuse mais gagnait du terrain. Puis s’est rajouté l’essoufflement, des quintes de toux sèches et irrépressibles à chaque fin de phrase et la sensation d’un morceau de viande coincé dans l’oesophage. J’ai consulté trois fois et le médecin ne trouvait rien : crise de stress la première fois, asthme la deuxième et coqueluche la troisième fois. Mais il m’a quand-même prescrit une radio du thorax cette fois-ci. A la radio, on voit une grosse tâche ovale sur le poumon droit… Il faut passer un scanner de contrôle. Mon généraliste est surpris, perplexe (je n’ai jamais fumé de ma vie). Il appelle devant moi un ami pneumologue et lui lit le compte rendu de la radio. Ce dernier lui dit de ne pas s’inquiéter, que c’est une pneumopathie et que ça se soigne très bien avec des antibiotiques…. Me voilà partie pour deux semaines de piqûres quotidiennes mais je passe quand-même le scanner le 26 juillet 2016 ; quasiment 1 mois après la première douleur ressentie. Et là le verdict tombe : ce n’est pas infectieux, c’est tumoral… Le médecin m’a reçu sitôt le scanner passé et je m’effondre. Je pense immédiatement au cancer du poumon. Pour l’anecdote, ma maman est décédée à 29 ans d’un cancer du poumon, j’avais 8 ans et demi, l’âge de ma fille au moment où j’apprends que j’ai un cancer. Comment ne pas faire de parallèle ?!
A partir de là, tout s’enchaîne très vite. Je vis à Marseille, dans le 8ème arrondissement. Je suis prise en charge à l’hôpital St Joseph en pneumologie. La pneumologue qui me reçoit le jour même tente de me rassurer, car elle a un doute. Elle pense que c’est autre chose, un cancer oui, qu’il faudra traiter par chimiothérapie, mais peut-être pas du poumon . Je suis hospitalisée le 1er août pour 5 jours où je subis en même temps une mediastinoscopie* (biopsie élargie du médiastin) et la pose du port-à-cath qui recevra prochainement la chimio.
Au bout de 10 jours, le diagnostic est posé : Lymphome B diffus à grandes cellules, situé sur la chaîne ganglionnaire du médiastin.
– Quel traitement as-tu eu ?
Je n’avais jamais entendu parlé du Lymphome… On m’oriente alors auprès d’un hématologue sur l’institut Paoli Calmette toujours sur Marseille. Là j’apprends que c’est une forme très agressive mais qui se soigne à condition qu’on traité vite et « fort ». L’hémato me parle du protocole qui m’attend: R DA – EPOCH*. Chimiothérapie en continue que l’on donne généralement aux patients qui n’ont pas répondu favorablement au premier traitement ou qui sont en récidive… Je vais avoir 6 cures en tout à raison d’une cure d’une semaine en hospitalisation 24h/24 tous les 15 jours.
Je pense immédiatement à mes deux enfants 12 ans et 8 ans) qui vont être séparés de leur maman (ce qui n’est jamais arrivé depuis leur naissance).
Je devais commencer la chimiothérapie fin août, elle sera avancée d’une semaine car j’ai été hospitalisée en urgence après trois nuits blanches et de grosses difficultés à respirer : le ganglion atteint avait encore grossi et appuyait sur les poumons, écrasant ma cage thoracique. C’était tellement douloureux que je ne pouvais pas appuyer mon dos ne serait-ce que sur un oreiller.
Première cure de chimiothérapie le 22 août pendant 6 jours. Pendant l’hospitalisation, ça va très bien, plus de douleurs, dopée par les traitements et la cortisone à haute dose. C’est une fois de retour à la maison que ça se corse. Douleurs gastrique et intestinales, mal à supporter les injections d’activateur de croissance pour doper les globules blancs (douleurs musculaires et osseuses), aplasies fébriles et donc hospitalisation de 4 jours entre chaque cure, bref, la routine des malades atteints de lymphomes quoi !
Je passe sur les conditions d’hospitalisation (l’IPC est réputé mais c’est une usine, parfois plus aucune chambre disponible, la valse des internes, un hématologue invisible, très peu d’explications, etc).
J’ai perdu mes cheveux 15 jours après la première cure. Ça a été une sacrée étape mais la pire a été celle de perdre mes cils et mes sourcils. Ça donne de suite un air de malade… J’ai acheté une perruque un peu à contre coeur, d’avantage pour faire plaisir à mon entourage. Mais finalement, je ne l’ai jamais mise. Je mettais des foulards ou rien quand j’étais toute seule.
Mon traitement a bien fonctionné car au bout de deux cures, j’ai repassé un TEP-Scan qui laissait entendre qu’il n’y avait plus rien.
J’étais « déjà » en rémission. J’avoue que j’avais du mal à réaliser et que ma réaction n’a pas été aussi enthousiaste qu’on l’aurait souhaité mais j’étais (et je le suis encore) sous le choc de l’annonce. J’ai quand même continué mon protocole jusqu’à la fin et le 30 janvier, dernier TEP qui confirme la rémission totale.
Depuis j’ai changé d’hématologue et de généraliste (qui n’a pas eu le comportement que j’attendais dans cette période).
– Et maintenant, où en es-tu ?
Cette période de rémission est très difficile à vivre pour moi : le 21 décembre, on était encore à me mesurer les urines, prendre la température toutes les 3 heures etc. et le 22 décembre, ton protocole est terminé, tu es livré à toi même… Quand je demande à mon hématologue comment je dois faire pour me surveiller en attendant la consultation trimestrielle, elle me répond que je dois « m’écouter »… Moi qui attendais le dernier moment pour consulter le médecin me voilà en stress tous les quatre matins dès que j’ai mal quelque part.
Je vis en permanence avec la peur de la rechute, comme si le lymphome était une bête tapie en moi, qui sommeille et attend le moment où je commence à ne plus trop y penser pour se réveiller.
On parle de période de rémission qui dure 5 ans et après on appelle cela la guérison. Sauf que j’ai lu pas mal de témoignages où le lymphome récidive au bout de 8 ou 10 ans…
La première fois, j’ai été « forte », je n’ai jamais rien dit ni laissé paraître, je me suis engagée la tête la première dans ce combat. Mais c’est d’une part, parce que je ne savais pas trop où cela m’emmenait et d’autre part parce que j’ai eu très rapidement de bons retours de mes traitements. C’était dur à vivre mais ça marchait, donc ça motivait.
En revanche, si cette merde (appelons un chat un chat) devait revenir, je ne suis pas certaine que je ferais face avec autant de force et sang-froid. Reperdre ses cheveux, voir son visage bouffi, un teint gris/vert, un regard à l’expression inconnue, la douleur, la violence des traitements, les odeurs, les bruits des pompes, ce goût dans la bouche, les pleurs dans la chambre d’à côté…
– Et pour finir, comment te sens-tu ?
Voici mon témoignage, mon ressenti tel quel. C’est la première fois que je le partage de la sorte parce que je sais que vous (et les personnes qui lisent votre blog) vont comprendre.
Je le vis encore comme un immense traumatisme. J’ai lu l’article qui compare notre état à celui d’un soldat qui revient de la guerre et c’est tout à fait comme cela que je le vis.
Ce qui n’ont pas vécu ça ne peuvent pas comprendre la fatigue permanente que je ressens même au bout de 7 mois après la fin des traitements, et cette peur qui ne me quitte pas, cette forme d’insouciance à jamais disparue, le deuil de mon corps d’avant, le fait d’avoir la sensation d’avoir pris 30 ans d’un coup avec une ménopause précoce, des douleurs articulaires…
Voilà mon état d’esprit après le lymphome. Attention, lu comme ça, ce n’est pas très gai et optimiste, j’en ai bien conscience ! Je suis toutefois très reconnaissante car je suis toujours en vie, soignée à défaut d’être guérie, et dans mon malheur j’ai eu de la chance car c’est allé très vite et je n’ai pas eu d’auto greffe ni transfusion ni radiothérapie.
Je profite d’avantage des bons moments, je suis plus « zen » qu’avant, ne me prends plus trop la tête pour des choses futiles et essaie de vivre chaque jour comme si c’était le dernier.
Lexique :
R DA EPOCH : Protocole de chimio « Dose Ajusted » (DA). Cela signifie que les doses de chaque produit sont ajustées en fonction de la façon dont le patient réagit aux traitements. Il se compose de :
– Rituximab
– Etoposide
– Prednisone
– Oncovin (Vincristine)
– Hydroxydaunorubicin (Doxorubicine)
Médiastinoscopie : C’est une endoscopie du médiastin.
Le but est de prélever certains ganglions lymphatiques dans le médiastin pour les analyser. L’incision se fait au niveau du cou, au dessus du sternum, sous anesthésie générale.
Sources :
http://www.cancer.be
Votre commentaire