Interview n°53 : Marine

– Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Bonjour, je m’appelle Marine et j’ai actuellement 19 ans. J’habite dans la région Rhône-Alpes. Je suis en première année de médecine (PACES).

– Quel lymphome as-tu?

Un lymphome B primitif diffus à grandes cellules composite avec un Hodgkin stade IV.

– Quand et comment as-tu découvert la maladie ?

  • Apparition d’eczéma aux alentours de novembre 2016. D’abord, seulement autour des yeux. Puis à partir de début 2017, j’en ai eu sur les bras, le dos, le ventre, les jambes… Ça apparaissait à un endroit, ça disparaissait à un autre. J’avais toujours eu du psoriasis dans mes cheveux, ça avait toujours été discret et largement supportable. Mais là ça s’était énormément amplifiée au point qu’à force de gratter je commençais à avoir des trous dans mes cheveux au niveau des tempes et je saignais aussi. Pendant toutes cette période d’eczéma j’ai essayé plein de chose : crèmes, lotions, je suis même allée voir une magnétiseuse même si je n’y croyais pas. Même la cortisone ne faisait plus effet. Pendant l’été 2017, ça s’est un peu calmé et j’ai fait des tests qui ont décrété que j’étais allergique aux parfums/fragrances (sachant qu’aujourd’hui il y en a dans quasiment tous les produits). L’eczéma s’est arrêté, à la Toussaint 2017 je n’avais plus rien.
  • Ensuite, ce sont des démangeaisons insupportables au niveau des jambes qui ont pris le relais peu de temps après. Du pied jusqu’au genou, je n’avais ni bouton ni plaque rouge, et pourtant ça me grattai au point que j’aurais pris n’importe quel objet pour tenter de soulager ces démangeaisons. Je me suis grattée jusqu’au sang et les plaies n’avaient même pas finit de cicatriser que je les arrachais tant c’était insupportable. Évidemment, elles ont fini par s’infecter et créer des œdèmes énormes. 
  • À ce moment-là, novembre 2017, j’étais en plein cycle de 3x500m avec mon lycée et en parallèle on était en plein championnat Drôme-Ardèche par équipe avec mon club de tennis. Je faisais du sport trois fois par semaine. J’étais peut-être un petit plus essoufflée que d’habitude, mais comme je ne dormais plus la nuit à cause des démangeaisons, je mettais ça sur le compte de la fatigue constante et du froid. 
  • Fin novembre 2017, j’ai eu un gros week-end avec le tennis. J’ai fait 4 matchs en deux jours. Le lendemain, au lycée, je n’arrivais plus à marcher et à monter les escaliers. J’ai mis ça sur le compte des courbatures. Je suis loin d’être hypocondriaque. C’est ma mère qui, en voyant l’état de mes jambes, m’a emmené direct chez notre médecin généraliste. C’est comme ça que les choses ont vraiment commencés. Mon médecin s’est occupé de ma surinfection et à tout fait pour m’obtenir un rendez-vous au service dermatologique à l’hôpital de Valence.
  • J’ai eu mon rendez-vous début décembre. Ils m’ont fait une biopsie de la peau sur mon pieds : sous anesthésie locale, ils m’ont découpé un carré de peau, ça me laisse une cicatrice très moche. Ensuite, aucun n’était en mesure d’expliquer les démangeaisons. J’ai eu droit au bilan basique : prise de sang, radio pulmonaire, scanner.
  • En voyant la radio pulmonaire, la dermato m’a d’abord dit que mon cœur paraissait trop gros et anormal. Quand elle a eu les résultats du scanner elle a conclu que ce qu’on voyait sur la radio ce n’était pas mon cœur mais une tumeur. J’ai appris que j’avais un cancer (sans savoir que c’était un lymphome) le 14 décembre 2017. Je ne remercierais jamais assez cette dermato qui a fait jouer tous ses contacts pour m’obtenir un rendez-vous avec le chirurgien le lendemain-même à l’hôpital Lyon Est. 
  • Quatre jours plus tard, je faisais la biopsie de la tumeur située entre le cœur et la cage thoracique. Il ont mis un nom dessus le 2 janvier 2018, quand je suis allée faire ma première chimio. A partir du moment où j’ai entendu le mot “cancer”, mes démangeaisons, l’eczéma et le psoriasis ont totalement disparu. Aujourd’hui, je ne suis même plus allergique aux parfums. C’était le seul moyen que mon corps avait trouvé pour me faire comprendre que quelque chose n’allait pas.

– Quel traitement as-tu eu ?

4 cycle chimio R-ACVBP (trois jours consécutifs au service hémato puis une journée un peu plus tard en service de jour) accompagnés à chaque fois d’une ponction lombaire, puis 3 cure de BV-ICE et enfin chimio + autogreffe de cellules souches. J’ai ensuite fait un traitement d’entretien d’immunothérapie avec du BRENTUXIMAB-VEDOTIN pendant un an (soit 13 injections).

– Comment ça s’est passé ?

J’étais jeune, j’avais 17 ans. Ils ont voulu taper un grand coup avec de grosses chimio et ils ont eu raison. Je les ai bien supporté. Ça m’est arrivé d’avoir des nausées et de vomir, mais j’avais quand même de l’appétit. J’arrivais à m’alimenter, bon j’étais très compliquée mais mon poids, pour l’instant, n’avait pas trop baissé. Après j’ai eu les effets secondaires basiques : perte de mémoire, trouble de l’attention, période de fatigue, aphtes qui empêchaient de parler.

Le plus dur n’était pas les chimio finalement, mais les complications qui se sont ajoutées. À croire que mon corps m’en voulait.

J’ai eu un énorme syndrome post ponction lombaire après la première PL. J’ai dû rester allongée une semaine à cause de migraines qui m’empêchait de me lever, de manger et de boire. Ça a entrainé une déshydratation. C’est une dose de morphine qui a arrangé tout ça. J’appréhendais les trois autres PL prévues. Finalement, c’est l’interne du service à ce moment-là qui m’a sauvé. Elle a monté tout un dossier pour que mes ponctions lombaires soient réalisés avec des aiguilles pédiatriques, plus fines, plutôt que celle du service adulte dans lequel j’étais. Elle a eu l’autorisation du chef de service. Je n’ai plus eu de syndrome post-PL et je peux assurer qu’elle fera un médecin génial quand elle aura terminé ses études.

On m’a prélevé et congelé mon ovaire gauche après ma deuxième chimio. En parallèle j’avais tous les mois des injections dont j’ai oublié le nom. Ces injections avaient pour but de mettre mon ovaire restant “au repos” pour le protéger, comme si au niveau de mon ovaire j’étais redevenu une petite fille de 10 ans. J’ai stoppé ces injections après ma greffe, mes règles sont revenues environ 14 mois après (je commençais à m’inquiéter, car la gynéco m’avait parlé de 8 mois) et sont totalement régulières comme avant tous les traitements. J’ai eu des bouffées de chaleur qui ont assez rapidement disparu alors je n’ai pas demandé de pilule ou quoi que ce soit.

En revanche, suite à ce prélèvement d’ovaire, j’ai commencé à avoir des périodes d’énorme spasmes, dans la période mars-avril. C’était comme des contractions, mais de l’intestin. Je vomissais continuellement et si rapproché que mon corps n’avait même pas le temps de renouveler de la bile, je vomissais de la salive. J’ai eu plusieurs périodes, certaines plus fortes que d’autres et à chaque fois sur plusieurs jours. Je jeunais, ça finissait par s’arrêter et ça repartait toujours quand je recommençais à manger solide. Plusieurs fois je me suis retrouvée à l’hôpital. À trois reprise on m’a posé une sonde nasogastrique. Pendant ma plus grosse crise, j’étais branchée à trois pousse seringues d’antidouleurs sur 24h, une sonde nasogastrique, une sonde urinaire et les infirmières qui venaient me mettre d’autres poches pour me soulager quand j’en demandais. J’étais en aplasie, ils n’ont pas pu m’opérer en urgence. J’ai pris mon mal en patience. Finalement, j’ai été opéré début mai en priant pour que ce soit une bride qui nécessitait un geste médical simple. Je n’ai jamais été aussi heureuse d’aller au bloc opératoire. Ils ont coupé la bride, j’ai pu passer mon anniversaire (mes 18 ans) chez moi et non à l’hôpital.

En ce qui concerne la greffe, je pensais que trois semaines à l’hôpital allait me sembler interminable. Mais non, ça allait. La première semaine (celle de la chimio) a été tranquille, après il y a eu la greffe de mes cellules souches. Là je suis tombée en aplasie totale pendant deux semaines, en chambre semi-stérile avec interdiction de sortir. Je n’avais plus la force, que ce soit de bouger ou de réfléchir. Même regarder un film je n’y arrivais pas. C’est deux semaines pendant lesquelles je n’ai rien fait. Depuis le début du traitement j’ai un blocage psychologique avec la nourriture de l’hôpital, je n’arrive pas à en avaler une seule bouchée et juste voir un plateau me donne la nausée. J’ai perdu énormément de poids. Mais une fois que les globules blancs sont repartis, c’est allé très vite ! Quatre jours après, 9 juillet 2018, j’étais dehors. Épuisée, mais enfin dehors.

Honnêtement, les infirmières et les aides-soignantes de mon service étaient tout simplement géniales. Je pense que je ne l’aurais pas vécu de la même manière si elles n’avaient pas été aussi agréables. Les premières semaines, ma mère dormait avec moi à l’hôpital. Les aides-soignantes lui installaient un lit de camp sans broncher et s’arrangeaient souvent pour lui donner un plateau repas gratuit. Les infirmières étaient toujours là quand j’avais besoin d’elles. Quand j’ai eu mon occlusion intestinale, lors d’un moment où je souffrais vraiment, l’une d’elle a convaincu le médecin de me donner un peu de morphine pour que je puisse dormir. Une autre m’a fait une séance de relaxation pendant sa pause alors qu’elle aurait pu aller ailleurs. Et dans des moments où je voulais juste rentrer chez moi, elles faisaient tout leur possible pour convaincre les médecins de m’accorder des permissions même d’un week-end. J’ai dit que “je ne l’avais pas mal vécu” et je pense qu’elles y sont pour beaucoup.

– Comment as-tu vécu cette période ?

J’ai été entouré par ma famille et mes amis. J’avais de la chance d’être hospitalisé à Lyon où deux de mes amies d’enfance, qui sont comme des cousines, vivaient. Elles, avec leurs familles, m’ont rendu visite quasiment à chaque fois que j’étais à l’hôpital et j’en étais très heureuse. L’hôpital est à 2h de route de chez moi et de mon lycée. C’étaient les seules à pouvoir venir régulièrement et c’est ce qu’elles ont fait. Mais je pense avoir fait un gros travail sur moi-même, toute seule. Je ne dirais pas que j’ai très mal vécu cette période. Évidemment, ce n’était pas facile tous les jours. Personnellement, ce qui m’a mis mal ce n’est pas tant le cancer, mais plutôt mon occlusion intestinale parce que c’est ce qui me faisait souffrir physiquement.

Moralement, j’ai eu quelques coups de blues mais j’ai tout fait pour tenir. Ça peut paraître un peu futile, mais l’un des plus gros coups de mous que j’ai eu (si ce n’est pas LE plus gros) c’est quand j’ai raté la soirée de 18 ans d’une de mes amies parce que j’étais à l’hôpital. J’avoue que toute seule en train de pleurer dans ma chambre, je me suis demandée pourquoi il avait fallu que ça tombe l’année de ma majorité.

Pour moi, à ce moment-là, je ne me suis pas dit “pourquoi moi” mais “heureusement que c’est moi plutôt que mon petit frère ou ma petite sœur”. L’une de mes craintes était que ma moelle osseuse soit touchées et qu’une greffe soit nécessaire. Généralement on cherche des donneurs dans la même fratrie. Ma sœur avait 9 ans à cette époque et mon frère 15 mais je savais qu’il allait crever de peur. Heureusement, pas de cellules cancéreuses dans ma moelle.

Concernant la perte de mes cheveux, mes parents ont acceptés de m’acheter une perruque. Après ma deuxième chimio, je les perdais de partout et ça ne me rendait pas vraiment triste, ça m’agaçais plus qu’autre chose d’avoir de long cheveux partout où je posais mes mains. J’ai demandé au coiffeur de me raser la tête. J’avais les cheveux très long avant, en bas du dos, et même si ça me faisait bizarre et que je me trouvais très moche ça ne m’a jamais ébranlée. Je me suis toujours dis que si c’était ce qu’il fallait subir pour vaincre la maladie, alors ce n’était pas un prix très lourd.

Mais tous les jours, je relativisais de cette manière. Je me répétais que quoi qu’il m’arrive, des gens vivaient pire dans le monde, certains mourraient sous des bombes, crevaient de faim… Ok, j’avais un cancer, mais j’étais soignée et dans un pays en paix. Je ne sais pas si la bonne méthode, mais même aujourd’hui c’est ce qui m’aide toujours à rester debout en cas de coup dur.

– Comment s’est passé « l’après » ?

Je suis sortie d’autogreffe début juillet 2018. Après trois semaines dont deux sans manger et sans bouger de mon lit, je n’arrivais même plus à rester debout plus de cinq minutes. J’avais perdu énormément de poids, j’étais considéré comme en “sous-poids” et même si personnellement perdre un peu m’allait très bien je détestais mes jambes. C’était à se demander comment je pouvais tenir dessus. Pourtant, quatre jours après ma sortie c’était la finale de coupe du monde de foot. J’ai hésité longtemps avant de décider si j’allais à la fan-zone. Mais je savais que j’allais regretter si je n’y allais pas. Même si j’étais très faible physiquement cet été là, je me suis forcée à vivre comme si je ne l’étais pas. J’ai fait des soirées avec mes amis, je suis allée me baigner à la rivière et je suis partie à Malte avec mes parents. Forcément, j’étais plus fatiguée, j’avais mal au dos, du mal à rester debout ou sans dossier trop longtemps aussi, mais ça ne doit pas nous empêcher de vivre. On doit juste faire les choses à notre rythme.

J’ai redoublé ma terminale, sans mes amis qui sont partis dans le supérieur et donc loin de chez nous. L’une des plus longues années de ma vie. Aujourd’hui, j’ai mon bac avec mention, j’ai mon permis, j’ai mon appartement et j’essaye de travailler au mieux la première année de médecine.

Mes parents m’ont offert le plus beau cadeau de Noël que je n’ai jamais eu quand on a appris mon cancer en décembre 2017 : un voyage n’importe où dans le monde, dès que je serais guérie. J’ai choisi le Japon, on est parti en avril 2019, et ça fait partie de mes plus beaux souvenirs.

Je sais que le calvaire n’est pas totalement terminé, que les scanners vont continuer et que je ne sais même pas si je suis encore fertile, mais à 19 ans, j’ai tout sauf envie de me préoccuper de ça. Physiquement, j’ai perdu tous mes muscles et j’ai encore des spasmes de mon occlusion intestinale pendant un ou deux jours dès que je suis fatiguée, que je mange trop ou trop gras. Mais mentalement, je n’ai jamais été aussi forte.

– Et maintenant où en es-tu ?

Au dernier scanner il restait une minuscule tâche qui n’a pas bougé depuis presque un an, mais elle est beaucoup trop petite pour faire quoi que ce soit. Sinon, tout ce qui restait après l’autogreffe avait disparu sur ce scanner de septembre 2019. Le prochain est en janvier. On croise les doigts.

– Est-ce que le lymphome a changé ta vie ? Si oui, comment/ à quel niveau ?

Il n’a pas vraiment changé ma vie. En revanche, il m’a changé moi. J’ai l’impression que moins de choses m’atteignent, que j’ai appris à relativiser. Je me prend beaucoup moins la tête qu’avant, j’essaye de vivre davantage les moments présents sans me soucier du regard des autres. Bref, ça m’a endurcie, fait grandir, changé, mais en bien.

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