Le sujet de la reprise du travail me tenait particulièrement à cœur. En effet, après en avoir discuté avec d’autres malades, les équipes médicales ou des associations, j’ai constaté que (parfois) on doit subir « la double peine » alors qu’on est encore fragile durant cette période de « l’après ». La reprise peut alors s’avérer plus compliquée que prévu, voir tourner au scénario catastrophe. Ce problème n’est malheureusement pas assez pris en considération malgré la souffrance qu’il peut entrainer et les répercussions sur la santé. Je voulais donc évoquer ce sujet encore trop tabou. Bien sûr, cela ne concerne pas tout le monde et je ne cherche pas à vous faire peur mais je pense qu’il faut quand même savoir que cela peut arriver et, comme le cancer, ça n’arrive pas qu’aux autres car nous ne vivons pas dans un monde de Bisounours (je pense que vous l’aviez remarqué sinon la maladie n’existerait pas!). La réalité est violente et certaines entreprises (et patrons) sont sans scrupules.
Souvent, lors des traitements, nous sommes en arrêt de travail pour une longue période. Actuellement la Sécurité Sociale nous accorde un maximum de 3 ans (arrêt complet et/ou temps partiel thérapeutique). Il est possible parfois de faire du télé-travail mais rares sont les employeurs qui peuvent le mettre en place. Cela dépend de votre poste bien sûr car si vous êtes boulanger, cela va être difficile. Vient enfin le moment où vous avez fini les traitements, la rémission est prononcée et vous vous dites que vous allez pouvoir reprendre votre vie « normale » et là ça se complique….
Déjà, un fois l’accord de vos médecins (hématologue/cancérologue, médecin traitant) et de la Sécurité Sociale, il faut négocier une reprise à temps partiel (dans la plupart des cas, on ne reprend pas directement à temps plein). Eh bien oui, c’est une « fleur » que vous fait votre patron car il a le droit de refuser ! Après, il faut réussir à se mettre le médecin du travail dans la poche ce qui n’est pas chose facile. Cette personne ne vous connait absolument pas et pourtant c’est elle qui va décider de la suite au sein de votre entreprise. Vous n’avez pas forcément envie de lui raconter vos derniers mois de galère. En plus, sans vouloir être méchante, le médecin du travail a l’habitude de vérifier l’aptitude au travail et donc il est possible qu’il vous dise comme le mien : « je n’y connais rien au cancer » et là vous vous dites que c’est pas gagné…. Il faut aussi garder à l’esprit qu’il n’est pas là pour vous défendre ; comme il est payé par votre patron, il peut se ranger de son avis.
Donc déjà la première étage de la reprise c’est de convaincre tout ce petit monde que vous êtes prêt. Mais pourquoi faut-il faire tout ça juste pour récupérer son poste ?
Une fois cette épreuve de franchis, vous faites votre retour. Bien sûr cela dépend de la structure (petite ou grande entreprise) mais parfois, malgré votre enthousiasme c’est la douche froide. Votre bureau a été chamboulé durant votre absence, vous ne retrouvez plus rien car toute l’organisation a été changée, vous devez faire face à des modifications du système informatique, les changements de salariés (Monique est partie à la retraite, Pierre a démissionné, Patrick s’est fait largué par sa femme et vous faites la boulette en lui demandant comment va sa chérie….). Et puis, si votre patron n’est pas le « Roi de la Comm' », vous pouvez avoir des collègues qui vous disent « Qu’est-ce que tu fout là? » Et là, dans votre tête, vous vous dites « Sympa le retour! Je ne m’attendais pas au tapis rouge mais quand même…. »
Pour moi, il y a deux sortes de collègues : celui qui vous regarde avec cet air qu’on déteste tous (vous savez celui avec le mélange de pitié, de bête étrange, etc.) et qui pense que vous n’êtes plus bon à rien et celui qui fait comme si vous vous êtes absenté pour une semaine en raison d’une grippe !!!! Il y a aussi quelques exceptions, ceux qui vous traitent comme avant, qui ne semblent pas remarquer le changement physique et que vous appréciez particulièrement. Pour ma part, j’ai remarqué que les hommes sont plus dans cette catégorie. Au fur et à mesure, vous constatez cette gêne avec les personnes qui « savent » mais à qui vous n’avez pas parlé de votre état de santé. Vous le savez à la façon dont ils vous regardent : un mélange de gêne, de pitié, le regard fuyant et en même temps fixé sur vos cheveux (Arrêtez cette obsession sur les cheveux c’est pénible ! Oui ils sont courts, ils n’ont plus la même texture etc. On l’a remarqué puisqu’ils sont sur notre tête!) Et il y a ceux qui n’ont pas compris et qui tout naturellement vous disent « Ah, tu as coupé tes cheveux, ça te va bien ». A ceux-là, j’ai eu envie de leur répondre « Ben non, ils sont tombés tout seul » (je ne l’ai pas dit car on m’aurait reproché mon agressivité…) Une fois pourtant, vu mon agacement, quelqu’un a répondu : « C’est sur ça lui va mieux que la boule à zéro! » Ca m’a fait beaucoup rire mais le collègue en question n’a pas compris et d’un air étonné m’a dit « Hein ? Quoi ? De quoi il parle? » Et puis, il y a toutes ces petites remarques qui mises bout à bout deviennent insupportables « tu as du bien profiter pendant tous ces mois » (ben oui, on sait tous que la chimio c’est comme des vacances aux Bahamas!), « Si tes examens ne sont pas bons, c’est pas grave, tu retourneras en chimio, tu as l’habitude ». Et puis, il y a le collègue qui débarque et qui pense que si vous avez été absent c’est pour un congé maternité et qui vous lance un « Félicitations! » très joyeux. Mais pourquoi dans notre société une femme absente plusieurs mois serait forcément enceinte ? Ca ne vient pas à l’esprit de certains qu’une femme n’est pas faite uniquement pour ça ? On n’est pas un ventre sur patte ! Oui ca m’énerve (surtout quand on sait que le chimio m’a rendu stérile), parce que je trouve ça macho comme remarque et puis forcément dans le cas présent c’est déplacé. Et après, on ose vous demander pourquoi vous semblez tendu depuis votre retour……
A ceux qui ont un collègue malade, tournez votre langue sept fois dans votre bouche avant de parler et il est préférable de se taire plutôt que d’entendre des trucs pareils !
Comme son nom l’indique, dans le temps partiel thérapeutique, il y a deux éléments à prendre en compte. Le temps partiel signifie horaires aménagées et donc poste allégé. Visiblement certains patrons doivent penser que tous ces produits qu’on nous a injecté durant les traitements font de nous un Superman du boulot et qu’on va faire sur un 50% ce qu’on arrivait à peine à faire sur un 35 heures ! En fait, ils devraient faire une sorte d’immersion dans le monde de la Cancérologie quand un de leur salarié est touché par la maladie, comme ça ils comprendraient mieux (enfin peut être). Et puis il y a le mot thérapeutique qui signifie que votre médecin a estimé que reprendre votre activité professionnelle vous aiderait à aller mieux et à reprendre une vie « normale » malgré la période difficile de l’après traitement (quand vous avez un peu les fesses entre deux chaises, ou une épée de Damoclès au-dessus de votre tête, à vous de choisir celle que vous préférez). Le temps partiel thérapeutique a donc un but médical et il a pour objectif de vous faire aller mieux et pas l’inverse (pas en vous épuisant par exemple).
Je comprends le point de vue des patrons qui ont une boite à faire tourner mais sérieusement, il ne faut pas sortir de Polytechnique pour comprendre qu’il est préférable d’avoir un salarié à 50% pendant quelques mois pour qu’il retrouve toutes ses facultés ainsi que sa santé afin qu’il soit totalement opérationnel et avec une réelle motivation car il aura été soutenu par son employeur. Aujourd’hui, d’après les chiffres, parmi les salariés en poste au moment de l’annonce de la maladie, deux ans après, 1/3 n’occupent plus leur emploi. Vous ne trouvez pas ça énorme ?
Il faut savoir que malgré les idées reçues, un employeur peut vous licencier durant votre arrêt maladie. Mais, il y a très peu de motifs recevables et l’employeur doit pouvoir les justifier car ils s’appliquent à des cas très précis. De plus (et c’est bien malheureux), certains patrons profitent de la situation et de la vulnérabilité des personnes malades car, dans beaucoup de cas elles ne se défendent pas (par manque de force, de moyens financiers et que leur priorité est à leur santé). Certains vous diront que dans une petite société, il y a le côté humain alors que dans une grosse boite vous n’êtes qu’un numéro. Mais, à l’inverse, un grosse entreprise a les moyens (et l’habitude) de faire face à des cas comme les notres alors qu’une petite boite ne verra que le côté financier (Combien vous allez lui couter avec votre cancer?) et le fait que ça va désorganiser le travail et donc vos collègues. Mais, sont-ils réellement perturbé? On a juste un cancer ! Ce n’est pas une maladie honteuse, ce n’est pas contagieux, et on n’est pas moins performant qu’avant !
J’ai conscience qu’il peut parfois être difficile de comprendre certains effets secondaires non visible : la fatigue, les problèmes cognitifs, la concentration, les douleurs physiques, etc. Mais, on est des humains, on peut communiquer. Personnellement, quand on me pose des questions sur la maladie, je réponds sans problème à condition que ce soit demandé de façon bienveillante.
C’est pareil, durant l’arrêt maladie, les conseils sont contradictoires : d’un côté on vous dit de ne pas aller sur votre lieu de travail ou d’avoir de relations avec vos collègues car vous êtes en arrêt mais, au bout de plusieurs mois d’absence, la reprise peut être plus compliquée si on n’a plus de contact. D’un autre côté, on vous dit qu’il est important de conserver ce lien car cela facilitera la réinsertion au moment de la reprise. Mais, on peut alors vous reprocher d’avoir l’air bien et de ne pas comprendre à quel point vous êtes malade et pourquoi vous ne travaillez pas. Oui, je sais, vous trouvez ça choquant et inhumain et pourtant j’ai entendu plusieurs personnes à qui c’est arrivé donc, ça arrive !
Alors soyons clairs, à tous les patrons et collègues de boulot, j’ai quelques conseils à vous donner afin que les malades n’aient pas à se battre pour reprendre leur poste. Pour commencer, respectez la vie privée de votre collègue malade. Si il veut vous parler de son état de santé, il vous en parlera. Sinon, ce n’est pas la peine d’alimenter les ragots à la machine à café en parlant de sa santé. Surtout que généralement tout est déformé et que ça devient du grand n’importe quoi. Par contre, vous pouvez montrer votre soutien en faisant un cadeau groupé et en offrant par exemple une box avec des douceurs ou des cosmétiques (de préférence créée par une ex-fighteuse et dont les bénéfices sont reversés à une association qui lutte contre le cancer). Ensuite, fermez votre bouche plutôt que de dire des bêtises ! Et, il y a la façon de dire les choses aussi. Enfin, soyez humain ! Je pense (et je crois que ça a été prouvé) qu’un salarié ayant dû affronter le cancer, à développer des qualités très utiles dans le monde du travail. Donc, arrêter de penser qu’on est devenu stupide ou que la chimio a ramolli notre cerveau ! Même si on a des problèmes cognitifs ou autre, on est toujours capable ! Et puis, il faut arrêter de penser que soit on est malade, soit on est guérit parce qu’il y a quand même une grosse étape entre les deux ! Bien sûr, il y a des choses que vous ne pouvez pas comprendre parce que vous ne l’avez pas vécu mais, nous sommes combatifs, déterminés, nous nous sommes battus pour vivre et si vous ne pouvez pas apprécier ces qualités à leur juste valeur alors tant pis, elles profiteront à un autre employeur !
Pour les malades, vous pouvez préparer votre reprise. Sachez que le service social de la CPAM peut vous renseigner et qu’il organise des réunions d’informations pour les personnes en arrêt de travail longue durée. Renseignez-vous aussi auprès du comité de votre département de la Ligue contre le Cancer car il peut vous aider avec des ateliers de reprise à l’emploi, de coaching, gestion de la fatigue ou des troubles cognitifs. Certaines associations peuvent aussi vous aider comme « Allo Alex », « Cancer at Work » ou « Entreprise et Cancer ». Je vous conseille également le livre « Cancer et Travail » qui vous explique les différents cas de figure et les démarches administratives qui peuvent vous aider.
Sachez également que certaines grosses entreprises ont signées une charte dans laquelle elles s’engagent à maintenir dans l’emploi les personnes ayant eu un cancer.
Bien évidemment, il y a aussi des reprises qui se passent très bien. En fait, pour que cela fonctionne , c’est un peu comme dans un couple : il faut que le salarié et l’employeur y mettent de la bonne volonté et qu’il y ai de la communication.
De mon point de vue, la reprise ne devrait pas être un problème. Mais, tant que les mentalités n’évolueront pas face à la maladie, on rencontrera des difficultés. Les associations (dont j’ai parlé plus haut) œuvrent au quotidien pour faire changer les choses, pour que les employeurs ne licencient plus leurs salariés au seul prétexte qu’ils ont un cancer, pour que leur emploi soit maintenu. Et il y a du boulot…..