Pourquoi, malgré la préservation de la fertilité je ne peux pas avoir d’enfant.

Avec l’annonce du cancer, on est généralement confronté à la préservation de la fertilité (obligation selon le Plan Cancer). Je vous ai déjà parlé dans un précédent article  (Le jour où j’ai congelé mon ovaire) du procédé peu courant dont j’ai bénéficié : la cryoconservation du cortex ovarien (en langage clair : la congélation de l’ovaire – à ne pas confondre avec les ovocytes…).
Le cap des 2 ans de rémission approchant – période durant laquelle une grossesse est fortement déconseillée – j’ai voulu faire le point sur ce sujet. De plus, je ne rajeunis pas et, pour l’agence de Biomédecine, on est périmé à 42 ans (âge limite selon eux pour tomber enceinte).

 

• Pourquoi la préservation de la fertilité ?

Lors de l’annonce du cancer, j’ai immédiatement été confronté au risque sur ma fertilité. Ainsi, lorsque j’ai pris la décision de faire cette préservation, j’ai vu ça comme une roue de secours et je pensais juste protéger mon organe le temps des chimios pour ensuite le récupérer et l’utiliser comme bon me semble. Faire comme n’importe quelle femme en fait : décider du moment où je voudrais avoir un enfant, avec qui, etc…. Sauf que une fois de plus, j’étais bien naïve… Il y a 6 mois, j’ai commencé à aborder le sujet avec mon hématologue en lui disant que je me posais un certain nombre de questions sur ma fertilité suite à la maladie. Sur son conseil, je suis donc retournée consulter le spécialiste de la fertilité.

• Et maintenant j’en suis où ?

Tout d’abord, on a fait le bilan pour savoir où j’en étais avec mon ovaire restant. J’ai donc arrêté toute contraception et j’ai attendu de voir si mes règles revenaient ou pas. … Cela peut être rapide, ou très long…. Les médecins considèrent que ça peut mettre 9 mois à revenir. En ce qui me concerne, je n’ai pas eu à patienter longtemps, 1 mois plus tard elles étaient de retour ! Mais, avoir ses règles ne veut pas dire qu’on soit fertile et que l’ovaire fonctionne. J’ai donc fait des examens sanguins qui comprennent un bilan hormonal pour voir où j’en étais. Il faut savoir qu’une partie de cet examen n’est pas pris en charge par la sécurité sociale et donc pas remboursé (malgré le 100%). Tout ça en plus pour apprendre qu’il ne se passait plus grand-chose à ce niveau-là et qu’on pouvait considérer que j’étais en pré-ménopause.
Concrètement, la ménopause est déclarée lorsqu’il y a absence de règles pendant au moins 12 mois. Mais, avant, il y a la période de pré-ménopause durant laquelle les règles sont plus ou moins régulières, les symptômes (bouffées de chaleur, prise de poids, etc…) plus ou moins présents. Cette période peut durer 2 ou 3 ans et clairement il n’y a rien à faire à part patienter.
J’ai également fait une échographie pour observer ma réserve ovarienne. Avec le spécialiste de la fertilité, on avait envisagé que, si elle était suffisante, on pourrait faire une préservation d’ovocytes en plus avant que la ménopause ne s’installe. Bon, normalement, on aurait dû voir des petits follicules se promener mais là c’était le désert de Gobi ! On en a vu quelques-uns mais minuscules et pas très en forme… Donc, même si on sait que ce n’est pas une science exacte, d’après les médecins, la chimio a été très toxique pour mon ovaire et mes chances de tomber enceinte « naturellement » sont (quasi) nulles. Mais, j’ai mon ovaire dans le congélateur ! Et, grâce à lui, même ménopausée, ça fait repartir la machine comme il faut.

• Que dit la Loi ?

Oui mais voilà, il faut se plier à la Loi Française et surtout aux règles fixées par l’agence de Biomédecine. Sauf que ça je ne l’avais pas prévu…. Surtout que certains points n’ont pas été abordés lors de la préservation. Il est vrai que ça se fait dans l’urgence et qu’on n’est pas dans les bonnes conditions pour réfléchir et penser à l’après….
Pour moi ça a été la douche froide car j’ai réalisé qu’une fois de plus, on était « puni », comme si on n’avait déjà pas assez souffert…. J’ai accepté de préserver mon organe donc je devrais pouvoir en disposer comme bon me semble. Parce que soyons clair, un ovaire est un organe ; ce n’est pas la même chose que les ovocytes !

Petit rappel des cours de biologie…….
Ovaire : Cela correspond aux gonades femmes ; ce sont les organes impliqués dans la reproduction, au sein desquelles les ovules sont fabriqués. Les ovaires interviennent dans la production ovocytaire, c’est-à-dire dans la sécrétion des cellules sexuelles femelles.
L’ovaire joue également un rôle important au sein du système endocrinien puisqu’il favorise la synthèse des œstrogènes et de la progestérone, deux hormones sexuelles essentielles.

Ovocyte : Nom de la cellule sexuelle femelle. Du processus de maturation et de division de l’ovocyte, effectué au sein de l’ovaire, nait l’ovule.

Ovule : Cellule sexuelle qui renferme la moitié des chromosomes de la mère, engendrant ainsi la transmission de la moitié du patrimoine génétique de l’embryon. Il est expulsé de l’ovaire pour être fécondé.

Aujourd’hui, en France, une femme ne peut pas « légalement » faire un enfant seule, avec une autre femme, ou après un certain âge (pour des raisons pratiques ou qui lui sont propres). On sait que le sujet fait débat dans notre pays depuis plusieurs années et que notre Président avait promis lors de sa campagne de revoir le sujet et d’autoriser la PMA / GPA. Chacun est libre de penser ce qu’il veut sur le sujet et ce n’est pas le débat actuel… Il faut juste comprendre que dans notre cas, ce n’est parce qu’on a sauvé notre peau qu’on ne peut plus donner la vie et surtout qu’on ne nous a pas laissé le choix ! En ce qui concerne mon ovaire, il y a une sorte de « vide juridique » car ce n’est pas la préservation courante et, elle est encore peu pratiquée en France. Et puis, disons les choses, les gens n’en ont rien à faire (ils se préoccupent surtout des couples homosexuels…), ne se sentent pas concernés, ne savent même pas qu’après un cancer on est (parfois) stérile (perso, je ne le savais pas avant qu’on me l’annonce…) et qu’on doit se battre pour avoir une vie comme tout le monde et fonder une famille.
Il faut dire aussi que l’agence de Biomédecine est un peu vieux jeu et que leurs règles ne s’appliquent pas vraiment à nos cas (D’ailleurs, Messieurs si vous me lisez, j’ai pleins de choses à vous dire…). Cette année en 2018, il doit y avoir une révision des lois de bioéthique. A cette occasion, des débats étaient ouverts sur leur site internet. J’y suis donc allée pour entamer la discussion par rapport à ma/notre problématique. J’ai été extrêmement choquée par les retours que j’ai eus… En gros, on nous met dans la même catégorie qu’une PMA « classique », on me dit que si je suis en vie, cela devrait suffisant, que ce n’est pas bien qu’un enfant soit conçu avec l’aide de la médecine, etc…. Bref, ça m’a bien dégoutée…. Pourquoi tant de haine ? Mais, en plus, sans parler du désir d’enfant, on devrait pouvoir récupérer notre organe pour ensuite utiliser notre corps comme on le veut. Cette greffe permet bien sûr de concevoir un enfant (et est actuellement vu uniquement comme cela) mais, elle permet également de récupérer un cycle, et ainsi d’éviter une ménopause précoce. Parce que soyons clairs, une ménopause à 25, 30 ou 40 ans provoque des effets indésirables, la prise d’un traitement hormonal pendant des années (c’est vrai qu’on n’a pas avalé assez de médicaments déjà…), des risques d’ostéoporose, etc. Mais, tout cela pourrait être évité en récupérant son ovaire ! Mais, pourquoi se pencher sur des cas comme le mien ou le vôtre ? On devrait s’estimer déjà heureux d’être en vie d’après eux….

• Quelles sont les conditions de l’Agence de Biomédecine ?

Ah oui, je ne vous ai pas parlé des « conditions » pour que la greffe ai lieu…. Déjà sur le plan médical, il faut être à 2 ans de rémission complète, avoir l’accord de son hématologue et vérifier qu’il n’y a aucun risque de réintroduction de la maladie. Rassurez-vous, cela n’est jamais arrivé mais techniquement ce serait possible si le prélèvement était contaminé. Il faut donc vérifier avec l’hémato que le lymphome n’était pas localisé près de l’ovaire. Bien évidemment, un fragment a été analysé lors du prélèvement pour plus de sécurité (et il sera de nouveau vérifié avant la greffe). Bon, jusque-là rien d’extraordinaire…. Ensuite, il faut être en couple (hétéro). Car oui, en France, le seul schéma familial autorisé est : Un homme + Une femme.
Donc déjà pour les couples homosexuels, il n’y a aucun moyen de récupérer son ovaire…. Personnellement, on ne m’a pas demandé mon orientation sexuelle avant de faire ma préservation (d’ailleurs, je ne suis pas sûre qu’ils aient le droit de poser la question…). L’étape suivante est d’avoir « un projet parental » comme ils disent. Donc, en gros, le désir d’enfant doit être sérieux. Alors ça, ça me met hors de moi ! De tas de gens font des enfants qui ne sont pas désirés, pas aimés, etc…. Et nous, après toutes les épreuves qu’on a traversées, on doit (encore) se justifier pour prouver qu’on mérite d’être parent ! Qui peut se permettre de juger ça ? Et sur quelle base ? Je suppose que c’est comme à la sécu et qu’ils doivent avoir une grille de critères bien arrêtés et que si on souhaite faire un enfant avec un mec rencontré seulement quelques mois avant cela ne va pas leur convenir. En même temps, quel est le délai pour faire un enfant ? parce que ce n’est pas la même chose à 20 ans qu’à 38 non plus…. (Perso, je m’interroge…).

Tout ceci dépend du Code de Santé Publique, articles L2141-1 à L2141-12 https://www.legifrance.gouv.fr/
Et donc cela précise que la PMA est autorisée pour les couples hétérosexuels si au moins un des deux membres du couple est victime d’une infertilité médicalement constatée ou s’il est porteur d’une maladie grave susceptible d’être transmise à l’enfant.
De plus, il faut pour cela être en couple marié ou en concubinage depuis au moins 2 ans et être en âge de procréer. Sachant que la limite est fixée à 42 ans pour une femme et que pour un homme la jurisprudence a montré que la limite était de 59 ans.

Et seulement après s’être assuré qu’on remplit toutes les conditions (médicales et morales), on peut envisager la greffe ! En soit, c’est une intervention chirurgicale sous anesthésie générale (donc avec les risques classiques) et une greffe (même si c’est notre organe). Il faut ensuite compter 6 mois pour s’assurer que la greffe a fonctionnée puis encore 18 mois pour que toute la machine se remette en route (puisqu’on est ménopausée avant la greffe). Donc oui, vous avez bien calculé, il faut 2 ans pour (espérer) tomber enceinte !
Un détail important : la greffe a une durée de vie limitée dans le temps. Les médecins ne se prononcent pas (mois ? année ?) mais il faut donc être prêt pour faire le bébé au bon moment sinon on risque de rater le coche….
Cette technique n’est pas nouvelle (elle date des années 2000) mais elle est peu pratiquée (vu la liste des critères, normal). Il est donc difficile d’évaluer le taux de réussite. De plus, cela évolue constamment… Personnellement, il y a 2 ans, en 2016, lors de ma préservation, on m’a annoncé un taux de réussite entre 20 et 30%. Et, il y a eu en France des grossesses et des naissances grâce à cette technique.
En ce qui me concerne, je peux prétendre à la greffe car je réponds aux critères médicaux : mon hémato est OK, le prélèvement n’est pas contaminé (même si je sais que le risque zéro n’existe pas) et mon ovaire restant est complètement HS. Mais, je suis célibataire et je ne rajeunis pas. Il faut donc que je rencontre quelqu’un rapidement (avis aux intéressés. LOL) car dans 4 ans, ils vont me considérer comme trop vieille…

• Pourquoi est-ce si compliqué ?

Ce qui me pose problème dans toute cette histoire, c’est que nous sommes soumis aux mêmes règles que tout le monde et que nous devons nous justifier, limite prouver qu’on sera de bons parents. Pourquoi doit-on autant nous compliquer la vie ? Après avoir eu un cancer, on doit se battre dans le monde du travail pour prouver qu’on est toujours capable, qu’on a des compétences acquises grâce à la maladie. On doit aussi se battre avec les assurances qui ne veulent plus de nous car ils nous considèrent à risque… Et pour fonder une famille, idem ! Alors c’est ça, lorsqu’on est un survivant du cancer, on doit se battre pour avoir une place dans la société et prouver que nous aussi on a le droit au bonheur comme n’importe qui ?
Mais, ce sujet personne n’en parle… Ben oui, ça intéresse qui nos problèmes de cancéreux ? Comme on m’a déjà dit, on est en vie, c’est déjà pas mal, faut pas trop en demander… Sauf que nous avons le droit de décider de notre vie plutôt que de la subir… Personnellement, ce n’est pas cette foutu maladie qui va décider de ma vie.
Mais, les gens réalisent à quel point c’est compliqué quand ils y sont confrontés. Je le vois dans mon entourage où les gens sont choqués de savoir à quel point c’est compliqué pour que je récupère mon organe…….
Et puis, honnêtement, même les grandes associations nationales de lutte contre le cancer (je ne citerais pas de nom mais vous voyez de qui je parle…) ne s’en soucient pas …. Déjà, c’est limite s’ils savent ce qu’est un lymphome (car à part le cancer du sein, colorectal et du poumon ça ne les intéresse pas…) alors les problèmes de fertilité ça leur passe au-dessus de la tête. Et puis, comme leur « clientèle » (comme ils disent) c’est plutôt les plus de 65 ans, c’est sûr que ce genre de problème ça ne les concerne pas……… Donc, voilà, on est seuls dans notre m**** …. Sympa !
De plus, c’est un sujet qui est assez tabou car qui a envie de crier sur tous les toits qu’on est stérile et ménopausée à notre âge (ou plus jeune) ?
Nous devrions pouvoir avoir des solutions adaptées à notre problématique et peut être que si on en parlait et que le « grand public » avait conscience de ces difficultés, cela changerait les mœurs. Et peut-être aussi qu’il y aurait plus de dons d’ovocytes par exemple. Car aujourd’hui, en France, il y a peu de dons comparés à la demande et il est donc très difficile d’en bénéficier même si on veut bien nous inscrire sur la liste d’attente….
Alors oui, j’avoue, c’est peut-être trop en demander (je rêve un peu quoi) mais j’aimerais qu’on s’intéresse à ce problème qui nous concerne après la maladie et ainsi ouvrir le dialogue vers des solutions adaptées. Parce que dans mon cas, je sais que malheureusement, le délai est court mais pour celles qui ont 20 ans, les « condamner » si jeune ce n’est juste pas possible…… Elles ont encore toute la vie devant elles, et elles se sont battues pour ça………….

Sources :

http://www.santé-medecine.journaldesfemmes.fr
https://www.agence-biomedecine.fr/

Un commentaire sur “Pourquoi, malgré la préservation de la fertilité je ne peux pas avoir d’enfant.

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  1. Article super intéressant. Je trouve tellement navrant d’avoir à remplir 36 critères pour récupérer ce qui devrait nous revenir de droit. Où va-t-on ? Je suis tellement choquée. En tout cas je te félicite pour cet article très bien documenté. Bises et courage !

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